Afin de promouvoir le développement d’une agriculture moderne, s’appuyant sur de nouvelles technologies, un nouveau cadre réglementaire est en train de se mettre en place pour favoriser l’utilisation des drones en Tunisie.
C’est à Sidi Thabet (gouvernorat de l’Ariana) que le premier projet pilote d’utilisation de drones dans l’agriculture a été lancé. Cette initiative traduit l’orientation de notre pays vers la mise en place d’une agriculture intelligente, basée sur les nouvelles technologies. Aujourd’hui, la première promotion qui se compose de 42 pilotes, dont 4 instructeurs dans la formation de pilotage de drone, n’est que le début d’une expérience qui sera généralisée dans un très proche avenir pour assurer la formation à 400 télépilotes de drones, d’ici 2022.
Au début, un cadre réglementaire non efficient et non adapté…
Lazhar Meskine, instructeur pilote de drone et directeur exécutif d’Africa Flying Engineering, un bureau d’études pluridisciplinaire qui exerce dans le domaine des drones, indique, dans une déclaration accordée au journal La Presse, qu’au début, le chemin n’était pas évident avec un cadre réglementaire non favorable et une série de procédures administratives compliquées, qui ne rendent pas facile l’atteinte des objectifs du projet. Jusqu’à présent, l’exploitation des drones dans tous les secteurs, dont l’agriculture, est soumise à l’autorisation de quatre départements ministériels. La procédure commence par une demande d’autorisation qui doit être déposée auprès du ministère de l’Equipement, car le drone est une technique pour la photographie aérienne. Une fois qu’on a eu l’accord initial, la demande doit passer par les ministères de l’Intérieur, de la Défense nationale et du Transport pour consultation. Malgré un processus compliqué, la demande doit être déposée un mois avant la date souhaitée pour obtenir une autorisation valable pendant seulement un mois, mais renouvelable selon le besoin. «Les procédures administratives posent un vrai problème et empêchent le développement de l’utilisation de cet outil dans notre pays, car dans certains cas on a besoin d’une intervention rapide et urgente. Donc, attendre tout un mois pour obtenir l’autorisation n’est pas faisable. Dans le secteur agricole, à titre d’exemple, on ne réussit pas à analyser les plantes car les données peuvent changer pendant un mois. Par ailleurs, en cas d’inondations, on a besoin d’une autorisation immédiate pour identifier les dégâts matériels et humains, les zones à risque, les zones prioritaires et mettre en place des plans de gestion pour pouvoir sauver les vies en cas d’urgence», précise-t-il.
Mais de l’autre côté, les bonnes nouvelles ne manquent pas. Meskine affirme que tous ces départements ministériels travaillent actuellement, main dans la main, sur un nouveau projet de loi qui va accélérer l’obtention de cette fameuse autorisation. Cette loi entrera en vigueur d’ici six mois au plus tard et permettra aux prestataires de service dans le domaine des drones d’avoir une autorisation permanente d’exploitation, valable pendant un ou deux ans… «On est, bel et bien, sur le bon chemin pour atteindre cet objectif car l’initiative, la volonté, la détermination et l’implication des différents ministères dans cette démarche ne peuvent que nous encourager à poursuivre dans cette voie. Donc, la volonté politique ne manque pas pour faire avancer les choses, avec un cadre réglementaire favorable à l’utilisation des drones dans tous les secteurs», souligne-t-il.
Le drone s’envole pour une agriculture intelligente
Meskine affirme que l’utilisation des drones (ou UAV) offre un potentiel considérable pour résoudre certains problèmes pressants auxquels l’agriculture et l’environnement sont confrontés, surtout en termes d’accès à des données de qualité exploitables en temps réel. Dans les zones arides, le secteur agricole est parti pour devenir l’un des plus grands utilisateurs de drones dans le monde au cours des prochaines années, ceci à côté de la surveillance des écosystèmes et de la désertification. Les drones contribuent notamment à améliorer la production agricole (agriculture de précision), le suivi, la surveillance, l’évaluation des écosystèmes et de la désertification tout en aidant à développer des systèmes d’alerte précoce. «L’utilisation des drones ou l’agriculture de précision permet une gestion de la variabilité spatiale et temporaire pour améliorer les rendements économiques. Il comprend des systèmes d’aide à la décision (DSS) pour la gestion de l’ensemble de l’exploitation, dans le but d’optimiser les rendements des intrants tout en préservant les ressources grâce à l’utilisation des images aériennes par drones (rendements des cultures, caractéristiques du terrain/topographie, teneur en matière organique, niveaux d’humidité, niveaux d’azote…)», explique-t-il.
Meskine ajoute, dans le même sillage, que le drone est un outil qui peut accéder aux zones inaccessibles et difficiles qui sont soumises à des contraintes naturelles, comme un relief et un climat difficiles ainsi que des sols à faible potentiel en montagne ou dans les piémonts. Pour l’irrigation, considérée comme un vrai casse-tête par les agriculteurs, l’ingénieur précise que les drones sont dotés de capteurs hyperspectraux, multispectraux ou thermiques qui peuvent identifier les parties d’un champ sèches ou nécessitant des améliorations. De plus, une fois que la culture est en croissance, les drones permettent de calculer l’indice de végétation, qui décrit la densité relative et la santé de la culture et indique la signature thermique, la quantité d’énergie ou de chaleur émise par la culture. «L’utilisation des drones aura un impact sur les ressources en eau en termes de qualité et de quantité grâce à une irrigation intelligente, un besoin de la plante en eau bien défini, un débit utilisé qui est mesuré et surveillé (compteur), moins de pollution du sol et meilleure qualité des eaux», souligne-t-il.
La formation au rendez-vous!
D’après l’instructeur, pour obtenir la licence de télépilotage de drone, le candidat doit passer un test de formation adéquat. Cette formation est composée d’une partie théorique et d’une autre pratique. La première est composée d’une série de cours en salle, qui déboucheront sur un brevet technique (tout ce qui est réglementation, sectorisation de l’espace aérien, mesures de sécurité et de sûreté, métrologie, navigation aérienne…). En Tunisie, on a développé un cours qui s’étale sur 5 jours (soit 40 heures de cours théoriques en classe) pour passer ensuite à un examen QCM. Une fois le brevet technique obtenu, le candidat peut accéder à la partie pratique. Cette dernière est enseignée en centre de formation auprès d’instructeurs professionnels pendant deux semaines où le candidat pratique neuf modules qui englobent toutes les manœuvres (vol circulaire, triangulaire, en avant, en arrière…). «C’est cette partie qui vous donnera accès à une attestation de suivi de formation suite à une évaluation qui regroupe les compétences techniques de télépilotage, le comportement durant le vol, la capacité de maîtriser le drone…. Et c’est grâce à cette attestation que vous pourrez devenir pilote professionnel», explique-t-il.
La Tunisie œuvre à généraliser l’expérience du projet pilote
Meskine indique que la Société nationale de protection des végétaux (Sonaprov) a pu mettre en place une coopération tuniso-coréenne pour la création d’un projet pilote d’utilisation des drones à Sidi Thabet. Ce projet a été financé par un fonds coréen «Koafec» à travers un don administré par la Banque africaine de développement (BAD). Cette initiative, lancée en collaboration avec le ministère de l’Agriculture, a permis le lancement d’un tel projet dont la mise en œuvre technique a été confiée à Busan Techno Park, une agence gouvernementale coréenne basée dans la ville de Busan (Corée du Sud).
Au début, l’accord était basé sur la formation de 42 pilotes dont 4 instructeurs dans la formation de pilotage de drone. Mais après la réussite de cette première expérience pilote et avec l’engagement des différents départements ministériels et la forte volonté politique annoncée par nos décideurs, on compte généraliser cette expérience en assurant la formation de 400 télépilotes d’ici 2022. «Après avoir développé les cours coréens en les adaptant aux spécificités du marché tunisien, on a réussi à mettre en place un package complet qui contient les processus théorique et pratique. Ce package a été soumis à la direction générale de l’aviation civile pour approbation. D’une valeur totale estimée à environ 4 millions de dollars, ce projet aide au développement d’une agriculture basée sur de nouvelles solutions technologiques», a-t-il conclu.
(photo : ©Herney Gómez)